Familistère de Laeken

Succursale bruxelloise du Familistère de Guise.
Le fondateur du Familistère développe à Laeken un ensembl industriel et domestique intégré à l’Association coopérative du capital et du travail de Guise.

Le canal de Willebroek devant le Familistère de Laeken · photographie anonyme, 1929 · collection Familistère de Guise

En 1853, moins d’une décennie après l’installation de la manufacture Godin-Lemaire à Guise, Jean-Baptiste André Godin établit un accord de production avec une fonderie établie à proximité de Bruxelles, à Forest. Diverses raisons motivent cette implantation. L'opposition du phalanstérien et républicain Godin au pouvoir impérial risque de mettre en péril son entreprise. Après que son domicile de Guise a été perquisitionné à plusieurs reprises, il prend la décision d'installer un établissement industriel en Belgique dans le cas où il serait contraint à l’exil. La création d’une usine à Bruxelles présente aussi un intérêt évident sur le plan industriel et commercial : la nouvelle unité de production peut offrir de nouveaux débouchés en Europe du Nord pour les produits de la marque.

Les voyages d'affaires de l'industriel de Guise sont aussi des tournées de propagande pour le mouvement fouriériste. C'est en Belgique que le chef de l'École sociétaire Victor Considerant s'est réfugié après la Révolution de 1848. Il y reçoit la visite de l'américain Albert Brisbane avec qui il forme le projet de fonder la colonie phalanstérienne de Réunion au Texas. Godin devient l'un des gérants en France de la colonie américaine et projette peut-être de déplacer son activité industrielle aux États-Unis. Après avoir constaté en 1857 l'échec l'expérience fouriériste du Texas, Godin s'engage dans l'édification du Familistère de Guise et dans le développement de sa manufacture belge.

En 1858, cinq ans après l'installation à Forest, Godin entreprend la construction d'une usine à Laeken-les-Bruxelles. Le site retenu, face au parc du château royal de Laeken, est remarquable. Délimité par le canal de Willebroek et le cours de la Senne, situé à proximité de voies de chemin de fer, l’acheminement des matières premières et l’exportation des produits finis y sont facilités. De plus, une importante main-d’œuvre qualifiée est présente localement. Le belge Nestor Martin choisit de même en 1868 d’implanter sa seconde fonderie dans les environs, à Molenbeek-Saint-Jean. La commune de Laeken est rattachée à celle de Bruxelles en 1921.

L’usine de Godin se développe de façon importante. Alors qu’elle compte seulement 25 ouvriers et employés en 1863, ce chiffre passe à 107 en 1872. Le nombre d’appareils vendus par la manufacture de Laeken évolue de 2 300 environ en 1863 à 10 000 en 1872. Sur les quelque quatre hectares de terrain s'élèvent de nombreuses constructions. Comme à Guise, des ateliers sont spécialisés dans chaque étape de la chaîne de fabrication industrielle : fonderie, émaillage, ébarbage, ajustage, râperie, menuiserie, emballage. Ce sont de grandes halles dont les murs de briques sont blanchis à la chaux à l’intérieur et dont les charpentes en bois, à deux versants, sont percées d’ouvertures. À ces bâtiments s’ajoutent bureaux, magasin des modèles, salle d’exposition, etc.

Lorsque Godin, après une vingtaine d'années d'essais, fonde en 1880 l’Association coopérative du capital et du travail du Familistère de Guise, les employés belges obtiennent en principe les mêmes droits et devoirs que les employés français. Ils participent à l’expérimentation pratique de l’utopie fouriériste revisitée par Godin. Ils ne bénéficient cependant pas immédiatement des équivalents de la richesse dispensés par le Palais social édifié à Guise de 1859 à 1884. Aussi ne sont-ils pas tout de suite pleinement membres de l'association. Une unité d’habitation de 72 logements, conçue comme à Guise autour d'une grande cour vitrée, est finalement édifiée à Laeken en 1887-1888. Elle est habitée par 298 personnes en 1900. Des services de l'enfance et une école sont également aménagés. À Bruxelles comme à Guise on célèbre la Fête de l'enfance et la Fête du travail. Le Familistère de Laeken a son directeur. Mais la gouvernance de l'association coopérative est unique. L'assemblée générale de la Société du Familistère réunit dans le théâtre de Guise les associés des deux sites. Les salariés belges participent à la répartition des bénéfices de l'ensemble des affaires industrielles et commerciales de Guise et de Laeken.

Le Familistère de Laeken ne connaît pas un développement comparable à celui de Guise. En 1930, l’association coopérative compte 2 462 salariés à Guise et 773 à Laeken ; elle ne comprend qu'un seul associé belge en 1888 et 70 en 1930 (contre 345 à Guise la même année). L’établissement de Laeken fut toujours considéré comme une succursale, comme l'indique le dossier rédigé en 1874 à l’occasion de la séparation de biens entre Godin et sa première épouse, Esther Lemaire : « L’immeuble belge n’est qu’une annexe qui ne peut vivre et produire s’il ne se rattache à l’usine mère de Guise qui lui fournit du reste tous ses éléments de production ». Pâtissant probablement d’une implantation qui interdisait toute extension, l’usine cesse son activité dès 1960. Après la dissolution de l'association coopérative en 1968, l’immeuble d'habitation, dont le rez-de-chaussée servait depuis quelques années d'entrepôt et de salle d'exposition des appareils « Godin », est vendu et transformé en bureaux. Les derniers habitants quittent le Familistère de Laeken en 1971.

Le Familistère bruxellois, qui a connu d’importantes transformations au cours du XXe siècle, est classé au titre des monuments historiques depuis 1988. Il est aujourd'hui propriété du Centre public d'action sociale de Bruxelles qui mène depuis 2009 une campagne de restauration et de réaménagement de logements. Les ateliers de l'usine, servant depuis 1968 à diverses activités industrielles, sont par contre voués en grande partie à la destruction. La proposition d’extension du classement du Familistère aux éléments les plus significatifs de l’ensemble industriel, faite à deux reprises en juillet 1994 et en août 2006 par la Commission royale des monuments et sites de la région de Bruxelles, est demeurée sans suite. Le promoteur immobilier Equilis a obtenu en 2012, malgré l'opposition des associations bruxelloises, le permis de construire un centre commercial baptisé « Just Under the Sky ».

Témoignages


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Sources et références

Godin (Jean-Baptiste André), Solutions sociales, 1871 (réédition de 2010).

Brauman (Annick), La conception architecturale d'un logement social : le Familistère des usines Godin & Cie à Bruxelles ; mémoire de licence d'histoire de l'art et d'archéologie, Université libre de Bruxelles, 1978.



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